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06/07/2009

Impossibles

Dans ma dernière chronique, je citais Andreu Solé*. Andreu a créé le concept que je trouve très puissant des "possibles" et des "impossibles". Ceux-ci révèlent les structures les plus caractéristiques et rénitentes d'un monde créé par des humains. Pour le monde des Aztèques, par exemple, il est possible que le soleil ne renaisse pas au terme de l'année et toute la vie communautaire s'organise autour des moyens d'éviter la plongée dans les ténèbres. Il est plus facile de voir les possibles et les impossibles d'un monde quand on est à l'extérieur. D'ailleurs, s'agissant d'autres monde que de celui d'où on regarde, on parlera souvent de superstitions.

Cependant, notre monde, tout rationnel et pragmatique qu'il se veuille, a comme les autres ses possibles et ses impossibles, et ils sont d'apparence tout aussi arbitraire ou gratuite dès qu'on les regarde d'ailleurs. Par exemple, malgré la succession des bulles qui explosent de plus en plus violemment, un des impossibles les plus tenaces de notre monde concerne l'utilisation de l'argent: impossible de ne pas chercher à faire de l'argent avec de l'argent! Cependant, le prêt à intérêt était condamné par l'Eglise médiévale et il l'est toujours par de grandes traditions religieuses. "Bondieuseries!" allez-vous vous esclaffer. Mais, bien avant, Aristote, qu'on ne peut soupçonner d'une crédulité excessive, avait examiné la question et conclut lui aussi que faire de l'argent avec de l'argent était néfaste. Pouvez-vous imaginer un monde où la masse monétaire ne s'accroîtrait pas des intérêts produits ou des spéculations, mais seulement à mesure de la création de richesses réelles ? Un monde où la dette n'existerait pas mais où "l'emprunteur" et le "prêteur" seraient en fait associés au sein d'un projet commun ? 

Il faudrait sans doute, pour cela, toucher à un autre impossible, plus fondamental.

Regardez autour de vous, tendez l'oreille: qu'est-ce qui est le plus présent, sensoriellement, dans notre monde ? La publicité. Que cherche-t-elle à générer ? Le désir d'acheter, de consommer, autrement dit l'insatisfaction de ce que vous avez déjà. Voilà le mot-clé du monde que nous avons construit: l'insatisfaction. Observez bien: sans l'insatisfaction, notre forme d'économie s'écroule. Alors, vous devez sans cesse avoir envie de changer. De voiture, de robe, de chaussures, de maison, de look, de téléphone portable, de PC, et cela même s'ils remplissent encore leur fonction... Pour notre monde, la plongée dans les ténèbres ce serait l'impossibilité de rallumer sans cesse l'insatisfaction.

Le problème, indépendamment du type d'être humain sous influence que cela engendre, c'est que le cercle, à trop être caressé, est devenu vicieux. Ce n'est tout simplement plus viable. Du point de vue social, vous pouvez consommer tant que vous voulez, faire tourner la machine au maximum et même vous endetter pour cela, l'emploi continue à fuir de vos villes et de vos villages, le territoire où vous vivez s'appauvrit, la société se désagrège, la misère et la violence s'y accroissent - et on est loin d'avoir tout vu. Du point de vue écologique, nous sommes, encore plus radicalement, en train de détruire les équilibres qui nous permettaient de vivre sur la planète, nous préparons notre propre extinction.

Alors, pouvez-vous imaginer un monde fondé sur un autre impossible que celui d'être satisfait ?  

* Andreu Sole est l'auteur de "Créateurs de mondes".

17/05/2009

Vous en reprendrez bien une goutte ?

De Raymond Devos :

C'est en arrivant ici, il y a un monsieur que je connais depuis longtemps, il me dit : - Dites donc, vous ne vieillissez pas ! - Non, parce que j'ai arrêté ! Complètement ! Du jour au lendemain j'ai arrêté de vieillir ! Parce qu'il n'y a pas que le tabac qui soit nocif. Vieillir aussi n'est pas bon pour la santé ! Un matin je me suis réveillé, j'avais vieilli de dix ans ! Hop ! vingt ans ! C'est dur de rester jeune, c'est dur. Je ne vous cache pas qu'il y a des moments, quand personne ne m'observe, j'ai envie de prendre un petit coup de vieux ! Mais je m'abstiens, je m'abstiens. Je ne voudrais pas finir comme mon voisin. Lui il pouvait pas s'empêcher de vieillir. Eh bien, il en est mort !

10/05/2009

Cygnes et signes

« The black swann » - le cygne noir - de Nassim Nicholas Taleb, que j’avais découvert avec jubilation dans sa version originale, est arrivé dans nos rayons francophones et je vous invite à le lire. Un cygne noir, c’est un évènement spectaculaire qui fait irruption dans votre vie, totalement imprévu et imprévisible, et dont on se demande cependant après coup comment on ne l’avait pas vu venir. Bien sûr, on pensera à la crise financière que tout le monde aujourd’hui s’entend à expliquer alors que ceux qui l’avaient annoncée se comptent – à ma connaissance du moins – sur les doigts d’une main. Personnellement, je ne pourrais même en citer que deux : Bernard Lietaer et Paul Jorion, qui ont l’un et l’autre laissé des traces écrites de leurs avertissements. Pour la petite histoire, Nassim Nicholas Taleb avait présenté ses idées sur le cygne noir devant le top management d’une grande banque réuni à Ceylan – excusez du peu, mais il y a des cerveaux qui nécessitent des atmosphères particulières pour se nourrir. C’était quelques mois avant qu’un de leurs traders fasse éclater la grenouille à force de la gonfler, puis que les subprimes explosent à leur tour. Cependant notre penseur de l’incertain n’avait obtenu qu’un silence poli teinté de suffisance quand il avait fait l’hypothèse que, lorsqu'il se passe quelque chose de vraiment important, c’est toujours ailleurs qu’où on porte habituellement son attention.  

 

A entendre certains, nous aurions pourtant fait de grands progrès dans la détection des cygnes noirs. Et de citer en exemple la grippe cochonne. J’ai des doutes. Il y a une huitaine de jours, un grand quotidien titrait à la une : « La pandémie est imminente ». Dans le même temps, on a cité des chiffres de mortalité humaine qui étaient plus élevés le vendredi que le lundi suivant, à croire qu’il y avait eu entre temps quelques résurrections. Par ailleurs, je ne sais pas le volume des substances proches de leur date de péremption que la peur - jointe au « principe de précaution » - a permis d’écouler sur une grande échelle. Un chiffre d’affaires d’un milliard et demi de dollars, si ma mémoire est bonne, rien que pour les Etats-Unis. Ce cygne noir-là n’était peut-être qu’un malheureux cochon affublé de plumes de dindon. Si j'étais un gars de l'OMS, je prendrais le risque de regarder ailleurs.

 

Car, si l’on y regarde de plus près, est-ce parce qu’il est le rare représentant d’une espèce singulière que le cygne noir nous surprend ainsi ? Non, bien sûr. Cet animal nidifie exclusivement dans la zone aveugle de notre représentation du monde. Là, il lui faut grossir jusqu’à déborder de cette zone aveugle pour que nous puissions enfin le voir. C’est dire que sa taille sera à proportion de notre tache aveugle : rapportez cela à la crise financière issue des subprimes et vous aurez une idée de la surface qu'elle occupe dans notre cerveau. Bernard Lietaer disait d’ailleurs il y a quelques jours, à Rennes, que ce ne sont pas les crises financières – et leurs analyses - qui ont manqué au cours de l’histoire. Dès le XVIIième siècle, on trouve aux Pays-Bas la folie de la tulipe qui n’a pas grande différence avec ce que nous vivons. La tache aveugle est aussi le trou noir de notre mémoire.

 

Nous avons tous, individuellement ou collectivement des taches aveugles. C’est dans notre condition d’êtres humains. En général, dans une culture donnée, elles se situent aux mêmes endroits. C’est pourquoi, de ce point de vue-là, nous ne pouvons guère être un secours les uns pour les autres. Quelques originaux, cependant, les ont ailleurs. Ceux-là pourraient nous avertir. Mais ils nous disent des choses que nous n’entendons pas – l’oreille a aussi ses taches de surdité – ou qui nous dérangent tellement, qui nous agacent à un tel point qu’elles nous font rejeter ces fâcheux, ces empêcheurs de penser en rond, en même temps que leur discours.

 

Aujourd’hui, les originaux disent des choses du genre : la crise ne fait que commencer, les remèdes actuels n’apporteront qu’une amélioration provisoire. Ils disent aussi : pas de société durable sans une relocalisation relative de l’économie, la mondialisation est le monopoly des riches. Ou encore : les OGM sont une fausse bonne solution. Et encore : le consensus sur le réchauffement climatique est une erreur historique d’analyse...

 

Et si nous n'étions pas dans le monde que nous croyons ? Le cygne noir devra-t-il atteindre  la taille d’un pachyderme pour que nous lui accordions un regard ?